vendredi 14 mars 2008

Delphes, les Météores, l'Acropole

Dimanche dernier s’opérait donc au Pirée la jonction avec Nicole et Gilles, un couple ami de Tours. Grâce à leur amitié, à leur disponibilité très engagée et... à leur voiture louée, les trois derniers jours de cette tranche ROME-ATHÈNES se sont déroulés en beauté selon un circuit que le Guide vert présente comme le coeur de la spiritualité grecque: Delphes, les Météores, Osios Loukas. La découverte de l’Acropole illuminée la nuit du 12 au 13, juste avant le décollage d’Athènes, constitue le point d’orgues de la fin de cette seconde tranche.

Le dimanche soir, Iakovos et Dimitra organisaient un repas de rencontre à cinq dans une très sympathique “taverna” en front de mer, tenue par un ancien étudiant de Iakovos, dans sa ville de Saint-Théodore près de Corinthe. J’y oubliais malheureusement les deux CD de musique grecque que Makis avait déjà gravés pour moi. Funeste oubli qui coûtera cher à Iakovos, puisqu’il aura un accident le lendemain en y retournant, heureusement pas trop grave. Il nous a ouvert la route le matin du 10 pour sortir de Corinthe et entamer ce circuit de plus de 600 kilomètres de routes en général très escarpées. Donc, impossible à vélo dans le temps disponible.

Plus qu’au singulier, c’est au pluriel qu’il faut nommer ce circuit aux coeurs des spiritualités grecques. En effet, ils font battre pratiquement quatre millénaires en prenant des formes variées. Le point commun est qu’ils s’inscrivent tous dans des sites montagneux. Ce sont des hauts lieux dans tous les sens du terme.

Delphes occupe un cirque impressionnant dans le massif du Parnasse. Dès le deuxième millénaire avant notre ère, ce lieu a commencé à souder cultuellement et culturellement les Grecs autour de la déesse terre “Gaia”. Mais c’est surtout à partir des années 700 avant JC qu’il est devenu un haut lieu fédérateur autour d’Apollon. Fils de Zeus, il serait venu à Delphes soumettre les vieilles divinités souterraines en tuant le Python dont il se serait ainsi approprié les vertus divinatoire. D’où son nom Apollon Pythien, faiseur d’oracles par l’intermédiaire de la Pythie.

Pendant plus de mille ans, son culte a mobilisé les Grecs autour de transes divinatoires et de fêtes panhelléniques commémorant la victoire sur le serpent par des concours gymniques et lyriques. D’où le temple d’Apollon, mais aussi les magnifiques vestiges de théâtres et de stades. Tout est détruit par les Slaves au début du 7ème siècle de notre ère. La terre retriomphe en enterrant le tout jusqu’à la fin du 19ème. Les grands chantiers archéologiques de remise à jour de cette époque sont concomittants de la résurrection grecque apès quatre siècles de domination turque. La force inspiratrice perdure: Nicole y a trouvé le titre de sa thèse!

Les Météores -monastères suspendus dans les airs- sont le coeur de la spiritualité orthodoxe depuis le 14ème siècle pour échapper aussi aux Serbes. Construits au sommet de rochers aux formes de pain de sucre, ils ne sont accessibles que par des escaliers étroits ou à l’aide de treuils vertigineux. Le site est si intéressant que le trio décide de prendre la journée complète pour le parcourir à pied et visiter le maximum de monastères. Il en reste encore une demi-douzaine en activité. Un certain nombre ont été détruits entre autres pendant la deuxième guerre mondiale par les Allemands car c’était un lieu de la résistance grecque. Ce sont donc des lieux de construction d’identité culturelle, autant nationale que spirituelle.

La beauté est si grandiose qu’elle prend, saisit, ravit selon une dynamique esthétique enveloppante, envoûtante, dépassant et déclassant toute réflexion immédiate. Ce n’est que dans les insomnies de la nuit suivante que ces quelques mots ont pu être arrachés de cette impression d’ensemble. Expérimenter la beauté cosmique, dans un premier temps, rend muet d’admiration, suspend parole et réflexion entre soi, le paysage et représentations. Une dynamique sensible mystérieuse émerge, unifiante, pacifiante, créante. Elle met imperceptiblement ensemble et en sens organisme et environnement selon des forces dépassant l’un et l’autre: “ça crée”; ça crée une reliance mystérieuse, inattendue, imprévue, inconnue, inédite, inouïe... ça crée ce qu’on peut peut-être appeler du sacré.

Laisser cette émergence de reliance inédite prendre suffisamment forme pour se formuler, prend du temps, un temps spécifique. Nicole en a fait le soir immédiatement une aquarelle. L’exprimer autrement, en mots, a nécessité pour moi, après ce temps d’exposition directe au grand jour ensoleillé, un autre temps nocturne de réfléchissement et de réflexion. Heureuse alternance intégrative qui je pense n’a pas fini d’épuiser ces visions d’habitats suspendus dans le ciel.

Que voir ensuite? Ne pas comparer. Chaque lieu a son charme. Mais impossible d’effacer cette référence à forte cosmicité. Le monastère d’Osios loukas est aussi très beau, lové au flanc d’un cirque de montagnes couverts d’oliviers dans le mont Parnasse. Mais c’est une beauté beaucoup plus sociale, léchée, apprêtée, policée.

Ensuite, mecredi soir, on a foncé sur Athènes où pour atteindre l’Acropole il faut trouver et presque faire sa route dans un trafic et une agglomération urbaine de plus de trois millions d’habitants. Pour y entrer et encore plus pour en sortir le lendemain matin avec la contrainte horaire serrée de l’heure du décollage, J’ai admiré le calme et le savoir-faire conjoint de Gilles et Nicole. Presque aussi beau que l’Acropole illuminée au clair de lune. On en a fait le tour, découvrant pour se faire le joli quartier qui la met bien en valeur: Plaka.

La massivité ostentatoire de cette forteresse m’a laissé dubitatif. Je ne pouvais m’empêcher de plus penser aux millions de personnes qu’elle a dû asservir pour se construire qu’à Périclès. N’empêche, c’est un beau haut lieu de civilisation comme on dit, avec ses ambivalences. Et merci à Nicole et Gilles de m’avoir fait terminer ce périple sur cette vision.

Merci aussi aux Grecques qui m’ont accueillies et m’ont permis de pénétrer un peu leur pays: Niki à Patras et Dimitra à Corinthe. Elles incarnent le meilleur de la Grèce, ancienne et moderne. Rendez-vous à l’automne pour le passage en Turquie.

Aucun commentaire: